Il faut bien avouer qu’il est extrêmement compliqué pour nous, en tant qu’organisation syndicale, de nous exprimer sur le mouvement des Gilets Jaunes. Compliqué, mais à nos yeux, indispensable !
Compliqué de nous exprimer, en tout premier lieu, parce qu’on ne nous l’a pas demandé. Ce mouvement spontané de citoyens se veut indépendant des partis politiques et des syndicats. Une intervention de notre part dans ce conflit, tant qu’elle ne sera pas sollicitée, ne pourra qu’engendrer de la suspicion et prendre le risque d’être taxée de récupération ou de manipulation.
Compliqué également parce que ce conflit a démarré et pris corps en dehors du monde de l’entreprise et donc en dehors du champ d’action habituel des syndicats.
Mais indispensable d’en parler pourtant, parce que dans sa forme actuelle et compte tenu des blocages auxquels se trouve confrontée la société française, ce mouvement interpelle la CFTC sur ses « valeurs fondatrices » :
La défense de l’individu et de sa dignité sont au cœur de notre engagement. Chaque personne est à la fois membre d’une famille, d’une entreprise, d’une association et, en tant que citoyen, d’une communauté nationale. L’Homme étant avant tout « un animal social », son épanouissement passe par sa relation à l’autre au sein de ces différents groupes. Les intérêts individuels étant bien souvent divergents, notre « travail syndical » consiste à rechercher le bien commun en créant les conditions d’un dialogue entre les parties. C’est ce que nous nous efforçons de faire chez PSA. Que cela ne soit plus le cas aujourd’hui dans la rue doit nous conduire à redoubler d’efforts dans notre entreprise pour que les mêmes maux ne conduisent pas aux mêmes blocages et aux mêmes extrémités.
Indispensable d’en parler aussi, parce que nous considérons que les entreprises en général, et PSA en particulier, ne peuvent dégager leur responsabilité de ce qui se passe aujourd’hui en France.
L’une des particularités de ce mouvement, c’est que bien que les revendications portent depuis le début sur le pouvoir d’achat et le « pouvoir de vivre » dignement, il n’est pas composé de chômeurs mais de retraités et de salariés avec de faibles revenus. Si, dans un premier temps, les manifestants ciblaient les différentes formes de prélèvements opérés par l’état (CSG, taxes, impôts…), les demandes se sont étendues à la revalorisation du salaire minimum. Primes de fin d’année, défiscalisation des heures supplémentaires, les réponses apportées lundi dernier par le Président de la République ouvrent le champ de la négociation dans les entreprises. En attendant les décrets d’application, les réflexions vont s’engager chez PSA. Le principe d’une prime de fin d’année défiscalisée ne peut que nous séduire. Elle devra faire partie des négociations à venir !
Une autre particularité des événements que nous traversons c’est l’importance du soutien, ou tout au moins du capital sympathie, dont continue de bénéficier ce mouvement. Si les violences qui accompagnent les manifestions sont condamnées, elles sont mises sur le compte de « groupuscules » et ne retournent pas fondamentalement l’opinion contre le mouvement. Mis en avant par les médias, ce capital de compréhension, de sympathie, semble, d’après ce que nous constatons « sur le terrain », exister également chez PSA. Notre conviction est qu’il se nourrit des ressentiments des salariés de notre entreprise accumulés ces derniers mois. Au sentiment d’injustice mis en avant par les gilets jaune envers « l’Etat » fait écho celui des salariés envers la Direction de PSA.
Ne faisons pas comme si tout allait bien chez PSA.
Début novembre, et donc avant le début de cette crise, dans une interview de l’AFP reprise par l’Express (ici) , la CFTC s’inquiétait de la montée de la grogne chez PSA, sur les conditions de travail et sur les salaires : « l’ambiance est très lourde, nous sommes devenus une entreprise où seule compte la performance économique. Il est temps de lancer un signal d’alarme. Sur le plan humain, nous allons droit dans le mur ».
Depuis plus de 10 ans, PSA en demande toujours plus à ses salariés. Justifiée lors de la crise qui a failli nous abattre, la position de notre direction du « toujours plus avec toujours moins » n’est plus admissible aujourd’hui, alors que nous sommes devenus, pour les analystes financiers, LA référence du secteur (Source Mainfirst Asset Management).
Quelle que soit la crainte des difficultés à venir, notamment celles prévisibles du respect des normes CO2, le décalage entre les bénéfices financiers de l’entreprise et la dégradation de la vie de ses salariés, rend inaudible tout discours de type « ne reproduisons pas les erreurs du passé, continuons les efforts ». Comment comprendre que PSA mette en avant l’importance qu’elle attacherait à la « Qualité de Vie au Travail », et que dans le même temps on se refuse de faire baisser la pression sur les équipes, avec en 2019 encore des réductions d’effectifs ?
La France a besoin d’une société apaisée. Cela ne se fera pas sans des salariés qui le soient également, et qui retrouvent confiance dans l’équité de leurs dirigeants.
La CFTC est un syndicat réformiste et fière de l’être ! Elle a dans ses gènes la recherche permanente du bien commun. Pour la CFTC, il s’agit d’organiser la vie en prenant en considération que nous vivons avec d’autres, qu’il y a diversité des points de vue et des intérêts et qu’il appartient à chacun de favoriser le “vivre ensemble”. Il est plus que temps, pour nos dirigeants, de comprendre qu’en ne considérant que le volet « performance » de l’entreprise, elle prépare le terreau de l’incompréhension et de la montée du sentiment d’injustice à l’origine de toutes les violences.
Etre un syndicat réformiste, c’est aussi pouvoir écouter, comprendre et accepter que le point de vue de la Direction procède d’une logique cohérente et défendable. Oui, nous sommes prêts à comprendre que les temps sont incertains, que tout n’est pas possible. Mais une Direction responsable devrait aussi savoir écouter les syndicats réformistes quand ils tirent le signal d’alarme. Dans les circonstances actuelles, compte tenu du climat de la société française et du nombre d’années de restrictions chez PSA, s’entêter à garder le cap du « toujours plus de performance », c’est prendre le risque de faire du « perdant-perdant » pour les salariés et pour l’entreprise !
A la CFTC, nous voulons croire qu’il est encore temps d’apaiser les tensions. De faire gagner l’entreprise et ses salariés. Le calendrier des semaines à venir doit nous donner l’occasion de démontrer que la violence n’est pas la seule solution pour se faire entendre. Cela passera, comme à l’extérieur de l’entreprise, par une réelle reconnaissance du travail et des efforts de chacun, au travers d’un véritable coup de pouce au pouvoir d’achat et au pouvoir de vivre des salariés. Plusieurs leviers vont s’offrir à nous :
- L’ouverture faite par l’état de la possibilité d’une prime de fin d’année défiscalisée
- Les négociations annuelles sur les salaires début 2019.
- L’amélioration des dispositifs de participation et d’intéressement. Contrairement aux fausses inquiétudes mises en avant dernièrement dans certains tracts, la Direction de PSA a depuis toujours affirmé que les résultats d’Opel Vauxhall seraient isolés des résultats PCD, et ne viendraient donc pas diminuer le montant de notre intéressement. Nous l’avons vérifié l’année dernière et cela se confirmera encore cette année. La question n’est donc pas de maintenir la règle initiale et le montant de l’intéressement correspondant, mais de l’améliorer très significativement !
Cela passera également par une politique de l’emploi, certes raisonnable, mais qui permettra aux usines de souffler, et à chacun d’entre nous d’arrêter d’être toujours dans l’urgence. D’être en permanence obligé de choisir quelle sera la tâche indispensable que l’on devra bâcler pour passer à la suivante. Faire simplement en sorte de permettre aux uns et aux autres de retrouver le plaisir de bien travailler ensemble !